Migrants: Traumatisés, deux Afghans racontent leur calvaire après leur naufrage dans la Manche
17.08.2023 13:30
© Reuters. Idris, un Afghan de 22 ans, à Calais, en France. /Photo prise le 16 août 2023/REUTERS/Pascal Rossignol
par Pascal Rossignol et Abdul Saboor
CALAIS, France (Reuters) – Idris, 22 ans, était convaincu qu’il allait mourir dans le naufrage de ce petit bateau sur lequel il avait embarqué, avec des dizaines d’autres compagnons d’infortunes, pour rallier l’Angleterre depuis la France.
Quand le navire a coulé, le jeune Afghan a pensé à ses parents qui lui ont donné la force de nager et de se battre pour sa survie, indique-t-il à Reuters.
Six personnes sont mortes dans le naufrage de ce navire samedi, et au moins une personne est toujours portée disparue, selon la préfecture maritime.
Au total, 61 personnes, dont Idris et un autre jeune Afghan, Fawad, âgé de 15 ans, ont été recueillies par les autorités françaises et britanniques. Les deux rescapés racontent leur calvaire à Reuters depuis Calais, quatre jours après le drame.
« Je ne pensais pas survivre. Je pensais que j’allais mourir et j’étais prêt à mourir », lance Idris en langue pachto, dans un récit exclusif du naufrage. « Quand (le bateau s’est échoué), les gens criaient, c’était un moment très difficile. Six personnes sont mortes immédiatement », poursuit-il.
Les autres se sont entraidées pour survivre en tentant de monter sur ce qu’il restait de l’embarcation, à tour de rôle, relate Idris. Ceux qui n’étaient pas sur les restes du navire nageaient dans l’eau en attendant leur tour pour se reposer.
« J’étais terrifié et vraiment triste, je pensais à ma mère et mon père. Quand les gens sont en train de mourir, ils pensent automatiquement à leur famille », affirme Idris.
« Si je n’avais pas pensé à ma mère et mon père, peut-être que je serais mort maintenant. Mais pour ma mère, mon père et mes frères et soeurs, j’ai continué de nager », indique-t-il.
La Manche, entre la France et le Royaume-Uni, est l’une des routes maritimes les plus empruntées et les courants y sont forts, rendant la tâche ardue pour les petites embarcations.
Les passeurs surchargent des petits navires de fortune qui flottent à peine sur l’eau et peinent à faire face aux vagues qui les attendent pour tenter de rallier le Royaume-Uni.
« Le bateau était surchargé, les vagues étaient très fortes et le bateau s’est déchiré », raconte Idris.
« TROP DANGEREUX »
Quatre personnes ont été mises en examen, soupçonnées d’homicide et blessures involontaires, indique une source judiciaire. Les quatre personnes ont été placées en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention, ajoute la même source.
Le parquet de Paris a confirmé à Reuters s’être saisi de l’affaire avec l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco).
Chez Idris, le traumatisme l’a conforté dans son idée de ne pas retenter une telle traversée.
« Je suis content de ne pas être mort et je ne vais pas retenter d’aller au Royaume-Uni », affirme Idris qui a quitté l’Afghanistan il y a un an et était en France depuis huit mois, en attendant de rejoindre l’Angleterre.
« Si quelqu’un veut demander l’asile, c’est mieux de le demander en France (…) ils ne devraient pas aller au Royaume-Uni, c’est trop dangereux », explique-t-il.
A côté de lui, Fawad, 15 ans, vêtu d’un sweat blanc à capuche, est tout aussi marqué par ce qu’il a vécu. Il est cependant moins catégorique sur la suite.
Cachant son visage, Fawad raconte sa peur quand le bateau a chaviré. Il a nagé avant de perdre connaissance. « Je ne sais pas ce qu’il m’est arrivé », explique-t-il.
En France depuis deux mois, où il dort dans la rue, Fawad affirme d’abord vouloir retenter la traversée avant d’apporter de la nuance au fil de l’entretien.
« Je n’ai aucune idée, je ne sais pas si je vais rester en France ou aller à Londres, je ne sais pas », avoue l’adolescent.
Plus de 2.000 migrants venus de pays comme l’Iran, la Syrie ou l’Afghanistan ont atteint les rives britanniques ce mois-ci, encouragés par une météo plus clémente.
L’afflux de migrants est vu comme un défi par le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, qui s’est engagé à « arrêter les bateaux », à un an des élections nationales.
(Avec la contribution de Sheree Sardar, rédigé par Ingrid Melander ; version française Zhifan Liu, édité par Kate Entringer)