Les réfugiés du Haut-Karabakh face à l’incertitude et à la pauvreté en Arménie
04.12.2023 17:04
© Reuters. Photo de Lilia Abrahamian, travailleuse caritative, montre des couvertures préparées pour les réfugiés de la région du Haut-Karabakh à Vanadzor. /Photo prise le 23 novembre 2023 à Vanadzor, Arméni/REUTERS/Irakli Gedenidze
MASIS, ARMÉNIE (Reuters) – Plus de deux mois après l’exode des Arméniens du Haut-Karabakh, qui ont quitté ce territoire séparatiste, reconnu internationalement comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, à l’issue d’une opération éclair de 24 heures conduite par Bakou, les exilés tentent de retrouver une vie normale en Arménie.
Née dans la capitale de l’Azerbaïdjan, Elada Sargsyan est, pour la troisième fois de sa vie, une réfugiée. Après avoir fui Bakou en plein conflit ethnique à l’âge de 19 ans, en 1988, elle et sa famille sont parties vers l’Arménie soviétique, avant de s’installer dans le village d’Aknaghbyur – Agbulaq en azerbaïdjanais – au Haut-Karabakh.
À l’époque déjà, cette région montagneuse située en Azerbaïdjan est en guerre contre le gouvernement de Bakou.
En 2020, durant la reprise du conflit, la famille Sargsyan a perdu une autre maison lorsque l’Azerbaïdjan a reconquis une grande partie du territoire.
En septembre 2023, comme le reste des 120.000 Arméniens ethniques du Haut-Karabakh, Elada Sargsyan, alors âgée de 54 ans, a fui sa maison pour la troisième fois.
« Je m’y suis déjà habituée », a déclaré Elada Sargsyan dans la ville de Masis, à la périphérie d’Erevan, la capitale de l’Arménie, où elle vit temporairement dans un jardin d’enfants désaffecté avec 67 autres réfugiés.
« C’est très difficile pour les personnes qui ont fui leur maison pour la première fois. Ils pleurent. Mais même ainsi, ils s’en sortiront, comme nous nous en sommes sortis ».
Masis, une ville de 20.000 habitants, accueille depuis septembre environ 8.000 réfugiés du Haut-Karabakh. Beaucoup de ceux qui y sont actuellement hébergés n’ont rien, ayant abandonné à la hâte leurs maisons et leurs fermes.
Alina Harutyunyan, 34 ans, a fui son village de Harutyunagomer – Qizilqaya en azerbaïdjanais – avec des dizaines d’autres personnes. Aujourd’hui, elle, son mari et ses quatre enfants partagent une pièce au rez-de-chaussée d’une bibliothèque abandonnée.
Le gouvernement arménien leur a fourni deux lits et un versement unique de 100.000 drams (229 euros), mais leur logement n’est pas équipé, n’est meublé que de tables et de chaises pour enfants, et le froid pénètre dans le bâtiment par les encadrements de porte vides.
« Nous avions une télévision. Maintenant, quand les enfants veulent regarder quelque chose, nous nous réunissons tous autour d’un téléphone », explique Alina Harutyunyan.
« Si je le pouvais, je retournerais chercher toutes nos affaires. Car ici, je dois mendier pour tout. »
NOËL EN EXIL
À environ 150km au nord, dix membres de la famille Gasparyan, venus de la capitale du Haut-Karabakh, vivent dans un appartement de trois chambres qu’ils ont loué à la périphérie de Vanadzor, la troisième ville d’Arménie.
Comme de nombreux réfugiés, ils ont eu du mal à trouver du travail.
Alvina, grand-mère âgée de 65 ans, est devenue le principal pourvoyeur de la famille, gagnant un peu d’argent en vendant des « jingalov hats » ou « pain vert » faits maison.
« Comme nous n’avons pas d’autres revenus pour l’instant, c’est juste assez pour le pain », a déclaré sa belle-fille, Narine.
Lilia Abrahamyan, qui travaille dans le secteur caritatif, a décidé d’aider certains des 2.600 réfugiés de Vanadzor.
Chaque année, en décembre, elle recueille les lettres de 300 enfants de familles pauvres, et collecte de l’argent pour leur acheter des cadeaux de Noël. Cet hiver, elle a reçu 200 lettres supplémentaires d’enfants réfugiés du Haut-Karabakh vivant à Vanadzor.
« L’un d’eux veut des bottes d’hiver, l’autre un manteau, un autre encore un micro-ondes pour sa mère », explique-t-elle.
« L’un d’eux a écrit ‘Je ne veux rien, je veux rentrer chez moi au Haut-Karabakh’. Nous savons que nous ne pouvons pas les aider, mais nous essayons de leur remonter le moral ».
(Reportage Felix Light, version française Augustin Turpin, édité par Blandine Hénault)