Le Mondial qatari parachève le retour de « MbS » sur la scène internationale
22.11.2022 17:37
© Reuters. Photo d’archives du prince héritier saoudien Mohamed ben Salmane lors du sommet de l’Apec à Bangkok, Thaïlande. /Photo prise le 18 novembre 2022/Pool via REUTERS
par Angus McDowall et Maya Gebeily
DOHA (Reuters) – La présence de Mohamed ben Salmane dans la tribune d’honneur du match d’ouverture de la Coupe du monde de football, dimanche au Qatar, parachève un retour remarqué du prince héritier saoudien sur la scène internationale, auquel le onze du royaume a ajouté une victoire sportive de prestige mardi face à l’Argentine.
Face à la crise énergétique mondiale, à la guerre en Ukraine et aux tensions entre les Etats-Unis et la Chine, le centre de gravité de la géopolitique mondiale s’est à nouveau déplacé au profit du premier exportateur mondial de .
Le gouvernement américain a annoncé la semaine dernière que le prince héritier, dirigeant de facto du royaume wahhabite, bénéficiait de l’immunité judiciaire face aux poursuites engagées aux Etats-Unis pour le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, tué par des agents saoudiens dans les locaux du consulat d’Arabie à Istanbul en 2018.
Washington a également réaffirmé publiquement son engagement à garantir la sécurité du royaume face à d’éventuelles menaces iraniennes.
Le prince héritier, que Joe Biden accusait il y a encore quelques semaines de mauvaise foi lors de discussions sur la politique pétrolière saoudienne et les cours du brut, semble ainsi avoir apaisé la colère de Washington.
Le président américain avait déjà notoirement reculé en se rendant en juillet dans le royaume, rompant sa promesse de traiter « MbS » en « paria » sur la scène internationale en raison du meurtre de Jamal Khashoggi.
Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a toutefois assuré mardi que les Etats-Unis poursuivaient leur réexamen des relations avec l’Arabie saoudite.
En novembre, Mohamed ben Salmane est apparu à la COP27 en Egypte, au sommet du G20 à Bali et à celui de l’Apec à Bangkok, avant de se rendre au Qatar, pays qu’il envisageait d’envahir en 2017, selon d’anciennes déclarations de responsables de l’émirat.
Le prince héritier saoudien a rencontré le président français Emmanuel Macron à Paris en juillet et recevra prochainement le président chinois Xi Jinping à Ryad.
RÉVEIL TARDIF
Aux yeux de l’élite dirigeante saoudienne, la colère occidentale face au meurtre de Khashoggi est motivée par des arrière-pensées politiques et considérée comme une manière de faire pression sur le royaume, observe Abdoulaziz al Sager, président du Centre de recherches du Golfe à Djeddah.
« Les Etats-Unis ont essayé de limiter l’importance et le rôle du royaume régionalement et internationalement, mais ils ont découvert d’abord que cet objectif était inatteignable et ensuite que cela nuisait à leurs propres intérêts », estime-t-il, ajoutant que les Etats-Unis s’abstiennent désormais de prendre des positions négatives à l’encontre du royaume.
Quand les Etats-Unis se sont déclarés inquiets, ce mois-ci, d’une menace de l’Iran envers l’Arabie saoudite et ajouté qu’ils n’hésiteraient pas à défendre le royaume, beaucoup de diplomates y ont vu avant tout un message américain visant à rassurer Ryad.
Un haut responsable du Pentagone, Colin Kahl, a déclaré à la presse que l’Iran s’apprêtait à mener une attaque comparable à celle de 2019 contre les installations pétrolières saoudiennes mais que les initiatives de Washington, notamment le repositionnement de systèmes de défense de missiles, pourraient l’en avoir dissuadé.
« Les mesures américaines qui ont accompagné cette mise en garde pourraient indiquer un réveil tardif de l’approche américaine vis-à-vis de la politique agressive et expansionniste de l’Iran dans la région », déclare Abdoulaziz al Sager.
DESPOTE
Les liens entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux n’en demeurent pas moins encore très abîmés.
Le boom du pétrole de schiste aux Etats-Unis depuis le début du siècle a permis à Washington de prendre ses distances avec un allié dont la politique intérieure le met mal à l’aise.
La position des Occidentaux face aux printemps arabes du début des années 2010 et la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015 malgré les avertissements de Ryad ont conduit l’Arabie saoudite à se persuader que Washington renonçait au parapluie de sécurité du Golfe. Quand le royaume est intervenu militairement dans la guerre au Yémen, la même année, il a jugé les critiques occidentales hypocrites.
Côté occidental, la menace iranienne est souvent jugée exagérée par Ryad, la guerre au Yémen vue comme une attaque impulsive contre un voisin plus faible et « MbS » comme un despote depuis le meurtre de Khashoggi.
Il semble peu probable que ces points de vue aient beaucoup évolué mais la rivalité entre superpuissances et les pénuries énergétiques les ont relegués à l’arrière-plan.
L’Arabie saoudite continuera probablement de préférer s’abriter sous un bouclier de sécurité américain. « L’unique avantage comparatif » des Etats-Unis est l’architecture de sécurité intégrée qu’ils peuvent bâtir dans la région, affirmait récemment le coordonnateur de la Maison blanche pour le Moyen-Orient, Brett McGurk, lors d’une conférence à Bahreïn.
« C’est une demande que nous entendons de capitale en capitale », a-t-il dit. Ce qui implique, pour les Occidentaux, de composer avec l’homme fort du royaume.
(version française Jean-Stéphane Brosse, édité par Sophie Louet)