Décès de Mikhaïl Gorbatchev : un héritage politique qui divise
31.08.2022 09:59
Le dernier dirigeant soviétique s’est éteint à Moscou à l’âge de 91 ans. Personnage clé de l’histoire du XXe siècle, adulé par les uns et détesté par les autres, son héritage politique divisera pour longtemps les historiens.
Mikhaïl Gorbatchev est décédé à Moscou le 30 août 2022, à l’âge de 91 ans, des suites d’une «longue maladie grave», a annoncé l’hôpital clinique central du Kremlin.
Né en 1931 à Privolnoïe, dans le Caucase du nord, dans le sud de la Russie, ce spécialiste des problématiques agricoles qui avait adhéré au parti communiste en 1952 avait vu sa carrière être favorisée par le directeur du KGB et futur dirigeant soviétique Iouri Andropov. Le 11 mars 1985, il devenait secrétaire générale du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique. Ce serait le dernier.
Le réformateur
Le nom de Gorbatchev est avant tout synonyme de glasnost (que l’on traduit généralement par «transparence» en français) et de perestroïka (reconstruction), deux grandes lignes politiques visant à réformer en profondeur l’Union soviétique dont l’économie était particulièrement déprimée. S’il a cherché à moderniser et décentraliser son pays, Mikhaïl Gorbatchev a aussi souhaité le débarrasser de poids qui existaient depuis l’époque stalinienne. C’est ainsi que la censure se fait plus flexible (des œuvres jusqu’alors interdites comme le Docteur Jivago de Boris Pasternak sont publiées Le physicien et prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, père de la bombe H soviétique et critique des autorités soviétiques est libéré de sa résidence surveillée…) et qu’il commence à ouvrir son pays à l’étranger.
Les grandes dates marquantes de son gouvernement relèvent surtout de la politique étrangère : le 8 décembre 1987, « Gorby » signe avec Ronald Reagan le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (dont Donald Trump s’est retiré, le rendant de facto caduque) puis le 31 juillet 1991, avec George Bush, le traité START I pour la réduction des armes stratégiques. Retirant les troupes soviétiques d’Afghanistan, refusant en outre de recourir à la force dans les pays d’Europe de l’Est réagissant au vent de démocratisation qui accompagne ses politiques, le dernier dirigeant soviétique reçoit le prix Nobel de la paix en 1990 mais assiste, impuissant, à la dislocation du bloc de l’Est puis de l’Union soviétique elle-même.
Après l’effondrement de l’Union soviétique, politiquement vaincu par Boris Eltsine, Mikhaïl Gorbatchev a fondé Green Cross International, ONG tournée vers les préoccupations environnementale, et, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 1996, il n’aura été que le spectateur d’années 1990 particulièrement difficiles pour la population russe qui dut s’adapter à un nouveau système économique. Toutes les tentatives de retour en politique du dernier dirigeant soviétique se sont soldées par des échecs. Critique du président Poutine, allant jusqu’à demander que ce dernier quitte ses fonctions en 2011, il avait néanmoins soutenu le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie.
Entre gorbymania et gorbophobie
Trente ans après la chute du mur de Berlin, Mikhaïl Gorbatchev est aussi admiré en Occident qu’il est critiqué par les Russes.
De 1987 à 1991, une véritable «gorbymania» s’empare de l’Europe et des Etats-Unis. La volonté de libéralisation du dirigeant soviétique apparaît comme un geste de bonne volonté mais aussi comme la victoire d’un système : les communistes semblent n’avoir aucun autre choix que celui de la transition vers la démocratie libérale. De nos jours, Mikhaïl Gorbatchev est toujours présenté de manière un peu simpliste comme celui qui aura mis un point final à ce qui est considéré comme des «dictatures communistes». Véritable coqueluche, son avis sur les affaires courantes de la Russie était écouté et son image était même utilisée à des fins publicitaires. Ainsi, Pizza Hut l’avait mis en scène en soulignant le fait que c’était grâce à lui que les Russes pouvaient avoir accès à des restaurants étrangers et Louis Vuitton avait en 2007 tablé sur son aura de «tombeur» du mur de Berlin. De fait, son prestige était tel que son soutien au rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, en 2014, en avait choqué plus d’un en Occident.
La vision qu’en ont de nombreux Russes est bien différente. En Russie, Gorbatchev est ainsi régulièrement le synonyme de réformes maladroites ayant abouti à la destruction du pays et aux années Eltsine. Non seulement les Russes se réveillaient dans une nation qui avait réduit en taille, mais ils devaient en outre s’adapter le plus rapidement possible à un nouveau système qu’on leur imposait. Entre précarité économique et instabilité sociale, l’espérance de vie s’est alors effondrée et il est généralement estimé qu’aucun pays au monde n’a perdu autant d’habitants en temps de paix. Une histoire drôle de l’époque disait que la perestroïka n’avait pas été pensée par des scientifiques, car dans le cas contraire, ces derniers l’auraient d’abord testée sur des animaux. Sur le plan extérieur, Mikhaïl Gorbatchev est aussi perçu comme celui qui a mis à bas le prestige d’une nation, nombre de Russes pointant du doigt sa naïveté lorsqu’il affirme que les Américains lui avaient fait la promesse orale que l’OTAN ne serait jamais étendue à l’est de l’Europe jusqu’aux frontières russes. De fait, en l’absence de traité en la matière, alors même que le Pacte de Varsovie était dissout en juillet 1991, l’OTAN s’est élargie à en 1999, 2004, 2009 et 2017.
Favori de l’Occident, malaimé en Russie, Mikhaïl Gorbatchev aura aussi toujours souffert d’être comparé au dirigeant chinois Deng Xiaoping qui, à la même époque, avait engagé son pays dans des réformes en profondeurs, des réformes habiles, qui ont réussi à maintenir un système politique tout en libéralisant l’économie.
«Ça leur est monté à la tête»: Gorbatchev dénonce l’«arrogance» de Washington après la fin de l’URSS