Croissance nulle au premier trimestre 2022 : accident, panne ou tendance inquiétante ?
06.05.2022 17:19
La croissance au premier trimestre de cette année aura été nulle, si l’on en croit les chiffres de l’INSEE. Ce résultat apparaît comme une douche froide après le rebond économique de 2021. Comment l'expliquer ? S’agit-t-il d’un simple accident ?
L’arrêt de la croissance a surpris les responsables du ministère de l’Economie et des Finances. Il est manifestement dû à la chute de la consommation, qui diminue d’environ -0,5%, mais aussi à un investissement qui reste très faible.
La reconstitution des stocks, un phénomène qui est sensible depuis la fin de l’année 2021, est le seul facteur positif à noter. Cela permet au résultat du PIB de ne pas être négatif au premier trimestre. Ajoutons que le ralentissement de la production est significatif dans le secteur des services, et provient notamment de la production en services marchands (+0,4 % après +1,8 %), en particulier dans l’hôtellerie et la restauration (–4,0 % après +1,2 % au trimestre précédent). En revanche, la production des biens a été un peu plus dynamique ce trimestre, et en particulier celle des biens manufacturés, alors qu’elle avait stagné lors des deux derniers trimestres de 2021.
Cependant, les résultats de mars sont mauvais. La production industrielle a chuté au mois de mars de 0,5% par rapport au mois de février. La production manufacturière, elle, est en chute de 0.3% sur le mois. Que s’est-il donc passé ?
La faute à la guerre en Ukraine ?
La baisse en volume de la consommation est sensible pour les ménages tandis que la consommation des administrations publiques, qui avait contribué à porter la croissance en 2021, est, elle, à l’arrêt. Une possible explication réside dans la montée des incertitudes. La guerre en Ukraine a pu naturellement peser, tout comme, à un moindre niveau, le rebond épidémique de la Covid-19 que la France a connu en début d’année. C’est l’hypothèse d’un accident passager.
La guerre a clairement des conséquences importantes sur l’appareil productif français. Les secteurs qui sont les plus affectés par les perturbations sur les chaînes d’approvisionnement engendrées par la guerre sont les secteurs de la fabrication de machines et d’équipements et d’automobile. Ils voient leur production chuter de façon importante, respectivement de 3,9% et de 7,3% sur un mois. En conséquence, la production automobile se trouve désormais à 34,2% en-dessous de son niveau d’avant pandémie.
Les ménages, quant à eux, inquiet de la situation internationale préfèreraient épargner que consommer. Cependant, la baisse du taux d’épargne, sensible sur une partie de 2021 et qui pourrait avoir continué au premier trimestre 2022, ne plaide pas pour cette hypothèse ou incite à tout le moins à la minorer.
La faute à l’inflation ?
D’autres facteurs sont aussi à l’œuvre. L’inflation, en particulier, qui accélère depuis l’automne 2021. L’inflation implique une réallocation des dépenses, en particulier pour les catégories les plus modestes qui sont mécaniquement les plus touchées. Le surcroît de dépenses pour l’énergie (que ce soit pour le transport ou pour le chauffage) réduit naturellement le «reste à vivre», ce qui se traduit par une baisse de la demande pour les produits manufacturiers. Les revenus n’étant plus indexés comme ils l’étaient dans les années 1960 et 1970, l’inflation entraîne donc naturellement cette baisse de la demande.
C’est l’hypothèse de la panne transitoire que le gouvernement a privilégié en début d’année. La thèse du ministre de l’Economie et des Finances était que l’inflation ne durerait pas et que, le marché du travail se tendant avec une baisse du chômage, des hausses de salaires apparaîtraient rapidement. Néanmoins on voit bien que l’inflation est là pour durer, au moins jusqu’en 2024. Cette inflation est elle-même due à des causes différentes qui vont d’un redémarrage de la demande plus rapide que celui de l’offre, d’une hausse structurelle des matières premières, d’une hausse des coûts de transport (en particulier dans le transport maritime) et de phénomènes de pénuries liés aux effets de la crise sanitaire sur les chaînes internationales de production et enfin, dans le cas de la France, une baisse de la productivité du travail. L’impact de ces différentes causes sur les prix à la production, et donc implicitement à la consommation, est évident.
L’hypothèse d’une inflation de courte durée est par ailleurs mise à mal par les effets de la guerre en Ukraine (que ce soit les sanctions ou les contre-sanctions) mais aussi par des effets de spéculation sur un certain nombre de biens, qu’il s’agisse des biens alimentaires ou des semi-conducteurs. Ainsi, le taux d’inflation est passé en France de 3% à la fin de l’année 2021 à 4,5% au mois d’avril 2022, et pourrait atteindre de 5,5% à 7% à la fin de cette année selon diverses prévisions.
Les mesures prises par le gouvernement, primes ponctuelles et «bouclier» sur les questions de l’énergie, si elles étaient cohérentes avec l’hypothèse initiale d’une inflation de courte durée, ne le sont plus face à une inflation qui pourrait durer encore deux ans, voire plus. Dans ces conditions, la «panne» de croissance menace de durer.
L’échec de la politique du gouvernement ?
Or on peut aussi lire dans les statistiques de l’INSEE des éléments qui vont au-delà de l’accident ou de la panne et qui décrivent la mise en place d’une tendance inquiétante. On a dit que le taux d’épargne baissait. Le taux de marge, autrement dit la capacité des entreprises à dégager des bénéfices, et le taux d’investissement aussi. La faiblesse de l’investissement depuis le second semestre 2021 est particulièrement préoccupante. Elle vient se combiner avec une baisse du taux d’autofinancement des entreprises françaises. Ce dernier est passé de 97,8% au deuxième trimestre 2021 à 89,3% au quatrième trimestre de 2021. On ne connaît pas encore les chiffres pour le premier trimestre de 2022, mais on peut penser qu’ils seront eux aussi mauvais. Or, si le taux d’autofinancement baisse, cela implique que les entreprises sont plus dépendantes des banques pour l’investissement, ce qui en période de rapide remontée des taux d’intérêt n’est clairement pas une bonne nouvelle.
On voit donc se dessiner une autre histoire venant démentir les brevets d’autosatisfaction que se décernaient les autorités depuis cet automne. La forte reprise que la France a connue en 2021 semble bien avoir été une simple compensation de l’effondrement de la consommation en 2020, au plus fort de la crise sanitaire.
Dans ces conditions, la supposée baisse du chômage va révéler ses effets de trompe-l’œil. En effet, si le gouvernement a beaucoup communiqué sur ce point, il s’est basé essentiellement sur la baisse des chiffres de la catégorie «A» de pôle emploi (DARES). Cependant les personnes sorties de cette catégorie sont essentiellement des personnes en stage. Pour que cela aboutisse à un retour effectif à l’emploi, et non à une forme de camouflage du chômage, il faudrait que la production et l’investissement s’accroissent. Or, non seulement la production désormais stagne, mais l’investissement reste inférieur à ce qu’il devrait être. Normalement, la Formation brute de capital fixe (FBCF) aurait dû atteindre 144 milliards au quatrième trimestre de 2021. On constate, sur le tableau 1, que ce n’est pas le cas.
La stagnation de la croissance enregistrée par la France au 1er trimestre va sans doute se prolonger au deuxième et au troisième. Si des éléments conjoncturels ont naturellement pesé, si l’inflation a joué un mauvais tour prévisible aux responsables de Bercy, cette stagnation reflète bien plus une atonie générale et une politique économique inadaptée.
Jacques Sapir
Chronique éco de Jacques Sapir – Réindustrialiser la France : peut-on encore y croire ?
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