Burkina Faso: L’enrôlement forcé d’opposants indigne la société civile
09.11.2023 17:52
© Reuters. La ville de Bobo-Dioulasso, Burkina Faso. /Photo d’archive/REUTERS/Luc Gnago
(Reuters) – La décision de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso d’enrôler de force dans les rangs de l’armée les opposants ou autres voix critiques à son égard pour combattre les groupes djihadistes constitue un abus caractérisé de la loi d’urgence en vigueur dans le pays, ont dénoncé des représentants de la société civile et des militants des droits de l’Homme.
Pour les syndicats des avocats et journalistes burkinabés comme pour l’organisation Human Rights Watch, cette initiative de la junte dirigée depuis septembre par le capitaine Ibrahim Traoré constitue une tentative de faire taire toute opposition pacifique alors qu’elle n’a pas tenu sa promesse de rétablir la sécurité au Burkina Faso.
« Nous voyons qu’elle (la junte) révèle son vrai visage et qu’elle n’est pas nécessairement venue pour sauver le Burkina Faso comme elle l’avait annoncé », a déclaré mercredi à Reuters un membre du syndicat des journalistes, s’exprimant sous couvert d’anonymat par crainte de représailles.
Le porte-parole de la junte n’a pas immédiatement répondu aux sollicitations de Reuters.
L’enrôlement forcé s’inscrit dans un cadre plus large de restriction de la liberté d’expression qui a vu les militaires suspendre au moins cinq médias – dont RFI et France 24 -, expulser des journalistes étrangers et intimider les voix critiques, selon Reporters sans frontières (RSF).
Entre le 4 et le 5 novembre, les forces de sécurité burkinabè ont informé au moins une douzaine de journalistes, militants et membres de partis d’opposition qu’ils seraient enrôlés dans l’armée pour participer à la lutte contre les groupes djihadistes, a précisé Human Rights Watch (HRW) dans un communiqué publié mercredi.
« En ciblant les individus qui ont ouvertement critiqué la junte, la conscription entreprise au Burkina Faso viole les droits humains fondamentaux », souligne l’organisation.
Parmi les cibles de la junte figure le médecin anesthésiste Arouna Louré, qui a reçu son ordre de mobilisation après avoir critiqué sur Facebook (NASDAQ:) l’incapacité des militaires à mettre fin à l’insurrection d’inspiration djihadiste qui ensanglante le Burkina Faso, pays du Sahel le plus touché par les violences.
Selon HRW, Arouna Louré a été embarqué de force en septembre et envoyé à Koumbri, dans la province du Yatenga, une des zones les plus dangereuses du nord du pays, pour y travailler avec les services médicaux militaires.
Depuis le début des insurrections en 2016, des milliers de personnes ont été tuées et plus de deux millions déplacées par les massacres qui n’ont fait que s’intensifier depuis le coup d’État de l’année dernière, selon le groupe américain de surveillance des conflits armés ACLED.
(Reportage de Reuters, rédigé par Allessandra Prentice, version française Tangi Salaün, édité par Blandine Hénault)