Le « privilège exorbitant » de la domination du Dollar « a peu de chances de survivre »
12.09.2023 05:58
© Reuters
Investing.com – Le sujet d’une potentielle « dédollarisation » de l’économie mondiale, c’est-à-dire une perte du statut dominant du billet vert dans les échanges internationaux et les réserve de change, fait de plus en plus souvent les gros titres, à mesure que la géopolitique évolue vers un monde moins centré sur les États-Unis.
Dans un article d’opinion paru lundi sur Project Syndicate, et titré « comment les monnaies globales finissent », Barry Eichengreen, professeur d’économie et de sciences politiques à l’université de Californie, Berkeley, et ancien conseiller politique principal au FMI, a abordé le sujet, confirmant qu’il s’agit d’un risque bien réel, tout en estimant que les Etats-Unis peuvent encore éviter le pire.
Militarisation du Dollar, concurrence de la Chine et montée en puissance des BRICS menacent la domination du Dollar
En ce qui concerne les facteurs poussant à la dédollarisation, l’économiste a souligné la volonté de la Russie, qui est clairement le pays qui a le plus à y gagner, étant donné qu’elle a été exclue du système bancaire des États-Unis et suspendue du réseau SWIFT.
Il a par ailleurs rappelé que « l’abandon du dollar par la Russie, qui a commencé après l’annexion illégale de la Crimée en 2014, a été motivé par la crainte – puis la réalité – des sanctions américaines ».
Eichengreen a également souligné « la campagne d’internationalisation du renminbi menée par la Chine » qui selon lui « reflète non seulement les tensions avec les États-Unis, mais aussi le désir de projeter sa puissance à l’échelle internationale, la volonté d’autosuffisance économique et financière se reflétant également dans d’autres aspects de la politique chinoise ».
Il a ainsi estimé que « la prééminence singulière du dollar, selon ce point de vue, a peu de chances de survivre à un monde dominé par deux grandes économies en conflit, dont une seule bénéficie du « privilège exorbitant » du dollar ».
L’économiste a aussi fait remarquer l’influence croissante des BRICS, soulignant que « la campagne de Lula en faveur d’une monnaie commune reflète l’idée que le pouvoir et l’influence croissants des BRICS ne peuvent plus être niés et qu’ils méritent un siège à la première table monétaire, que les États-Unis soient d’accord ou non ».
L’exemple de la Livre Sterling au 20ème siècle montre que les États-Unis peuvent encore agir pour éviter (temporairement) le pire
Cependant, malgré ce contexte, il estime que les États-Unis peuvent encore sauver la domination du Dollar, s’appuyant sur l’Histoire, et notamment sur le cas de la Livre Sterling au 20ème siècle.
Il a en effet rappelé que la Première Guerre Mondiale a dévasté le pays d’un point de vue économique, et a débouché sur une dette publique de de 130 % du PIB, soit six fois plus que les niveaux d’avant-guerre.
Cependant, cela ne l’a pas empêché de conserver son statut de monnaie internationale, Winston Churchill s’étant concentré sur cet objectif, ramenant les taux de change à leur niveau antérieur par rapport à et au dollar, au prix d’un sacrifice en termes de production, d’emploi, et d’austérité budgétaire.
« En conséquence, le rôle international de la monnaie a survécu même aux turbulences des années 1930, lorsqu’elle est restée le pivot de la zone sterling, la zone monétaire dirigée par les Britanniques » a souligné Eichenengreen.
Cependant, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, qui a eu un impact encore plus important que la première sur l’économie britannique, le pays « s’était engagé à assurer le plein emploi, ce qui impliquait des politiques très différentes à l’égard de la livre sterling ».
Le pays a ainsi dévalué sa monnaie en 1949, et a empêché « la liquidation désordonnée des soldes en livres sterling par d’autres banques centrales et gouvernements (…) par le contrôle des changes et des menaces commerciales », des mesures contraires au statut de monnaie internationale, qui ont effectivement mené la Livre à perdre son statut, avec pour accélérateur la crise du canal de Suez (EPA:) de 1956.
« La leçon fondamentale à tirer est donc que l’émetteur d’une monnaie internationale dominante a le pouvoir de défendre ou de négliger ce statut » a écrit Eichengreen pour conclure, estimant que « le maintien du rôle mondial du dollar ne dépendra pas simplement des relations des États-Unis avec la Russie, la Chine ou les BRICS », mais « plutôt de la capacité des États-Unis à maîtriser l’explosion de leur dette, à éviter une nouvelle épreuve de force improductive sur le plafond de la dette et, plus généralement, à reprendre en main leur situation économique et politique ».